Je m’assieds confortablement sur son siège… Me saisis d’un crayon, rituel du taille crayon découpant méticuleusement le bois et le graphite… Petits cris grinçants, craquements imperceptibles… Il faudrait que je le change, il se fait vieux… Poser le crayon, prendre le cahier, l’ouvrir sur une page vierge et nue… Pâle… Maladive… Gestes mécaniques, esprit ailleurs, au centre de l’idée, au cœur des mots, les yeux ont cessé de bouger pour s’accrocher aux images, aux sensations, le cerveau réveille ses soldats endormis et les envoient au front… On assiste à une ruche en effervescence qui classe, trie, range, analyse et annote soigneusement chaque pensée, chaque idée… Mettre de l’ordre et ordonner la maîtrise… Tout s’organise soigneusement, chacun à son poste, pas de pause, pas de temps mort, la machine est en route… Lorsque la première idée est classée, ma main prend le relais, la note en phonétique sur le calepin… J’élabore un plan… Schéma, préparation du champ de bataille, objectif : « gain de temps »… Ne pas m’éparpiller pour ne pas perdre mon fil… Ariane ? C’est toi ? … On se concentre, ne pas me perdre dans des divagations inutiles, cibler mon but et m’y tenir… Non, cela ne fonctionne pas comme cela, trop de rigueur, trop de sécheresse sans sentiment… Sortir du plan, me perdre, aller trop vite, oublier des mots, des phrases, des paragraphes, l’histoire… Me relire, paniquer… Ma main se crispe, se tétanise, mon esprit s’arrête… La rage d'écrire, de dire les mots sur l'immaculée blancheur du papier, avec cette pointe qui me pousse et me brûle, cette tristesse latente prête à exploser au moindre souffle d'air, et d'un seul coup… Rien ne sort, tout s'effondre et se confond, comme un gouffre sans fond qui s'ouvre sous mes pieds, engloutissant avec lui mon dernier espoir de sérénité... La main se bloque, les yeux s'embuent... Les larmes coulent et rien ne s'écrit... Souffrance décuplée de frustration soudaine... Dormir et oublier... Parfois tout fait trop mal... Chercher un moyen… Quelqu'un à qui parler puisque la page reste vierge… Emplir l'espace d'un cri, d'un refus de capituler, parler pour évacuer… Sortir les maux que la main emprisonne, que les sons chantent et résonnent jusqu’à la déraison... Mais sous chaque oreille que je rencontre, un peu décalée, en diagonale... Se trouve un instrument rose tendre à double lame qui ne sait pas se taire… Qui fait claquer ses dents et sa langue, cette langue pendue, alourdie d’un vocabulaire surchargé et dénaturé par les préjugés et les lieux-communs… Et qui finalement condamne l'oreille à ne pas se prêter… Cédant la place à ces mâchoires acérées qui sur un simple mot croit réconforter à l'aide de psychologie de comptoir… Ces lèvres empoisonnées déblatèrent un flot de parole incompréhensible dont l’effet n’a pour but que de conforter l’individu dans son illusion de vérité et de sagesse… Beurk ! Réduite au silence... Les poings liés, la bouche close... Il ne me reste que les yeux pour extraire le liquide d'un mal qui suinte de l'intérieur... Finalement, dormir… Je me dis que demain… Oui, demain peut-être… Repos… Puis, demain est aujourd’hui, le souvenir, la relecture, le moment fatidique où la phrase coupée nette me rappelle à mon précipice… La peur de ne plus pouvoir, de ne plus savoir… Hantise… Tout tourne… Ma gorge se serre, l’esprit se contracte et susurre l’horreur… L’incapacité… Auto persuasion qu’un vide intersidéral a prit possession de moi… Penser à autre chose, il faut penser à autre chose… Je revois des moments magiques, où la fluidité des mots s’écoulant de ma main devenait une danse sensuelle et langoureuse… Je ressens la plénitude rassurante et délectable d’un travail accompli, de la fierté du cœur à relire tous ces mots dont la juxtaposition forme un mélange suave et tendrement réconfortant… Je revois l’instant d’un point final… Changer de crayon, oui, voilà, cela va tout résoudre, il me faut changer de crayon… Tourner la page et lâcher prise… Lâcher prise… Tout lâcher… Désespérée… Abandonner… Mais pour la forme… Je m’offre un point .
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La sorcière de Wolfstone
Magie secrète au coeur des mots
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