Timbrée

Il y a celui qui rêve au fond de la salle. Les yeux absents, l'esprit ailleurs, il sourit. Il y a la vieille aux rides profondes, un âge certain et l'impatience de toute une vie. Il y a le grand et son journal d'hier, il lit une ligne, regarde sa montre relis une ligne, la montre, la ligne, la montre... Il y a l'enfant qui court et sa mère qui le surveille du coin de l'oeil, le rappelant à l'ordre avec mollesse. Il y a trois jeunes filles les unes derrière les autres à s'observer discrètement, laquelle s'habille le mieux, laquelle est mieux coiffée, laquelle s'en fiche : énumération dans les têtes, la liste défile dans leurs yeux. Il y a encore un grand monsieur un peu plus âgé, calme, serein, posé, respiration rythmée, sans à-coups, sans surprise, seul le pied le trahis, les orteils s'énervent et s'agitent pour évacuer l'impatience. Il y a la femme enceinte et son petit caniche ridicule, l'air heureux, soupirant de bonheur, le temps pour elle n'est que caresse délicieuse et promesse de vie pétillante. Il y a le vieux à casquette, canne au poing et talonnette, il marmonne, parle seul à voix basse, parfois relève la tête et la re-penche pour grommeler un peu plus, parfois un mot s'échappe, il n'est pas seul, mais son interlocuteur est invisible... Et puis il y a elle, face à moi, seule, qui regarde sa montre et tous ces gens qui attendent, qui regarde au hasard tous les guichets fermés avec l'espoir qu'un collègue vienne l'alléger de tous ces mécontents et râleurs de clients, qui fait des gestes brusques pour se donner l'illusion d'une rapidité inefficace. Qui soupire et ne dit plus bonjour depuis déjà une heure, qui refuse le moindre effort, qui punit le client de l'incompétence de son administration, et qui pour toute explication dit : "je n'y peux rien c'est comme ça" ou encore "ce n'est pas la procédure", "je n'ai pas le droit", "je suis désolée", "c'est impossible"... Et moi je la regarde, avec toute la compassion possible en espérant qu'un sourire puisse alléger son coeur et son esprit tiraillé.