« Je passe ma vie à t’attendre et tu ne reviens jamais vraiment » C’est la dernière phrase que tu m’as dite. Nous étions cet après-midi-là assis dans la véranda d’un café, deux chocolats chauds pour nous accompagner et dehors, la pluie et le vent glacés de la plage du Havre. Toi et moi, ça n’a jamais marché, mais ça a toujours « collé ». Déjà au lycée nous savions qu’il y avait entre nous ce lien fragile mais constant qui nous unissait si tendrement. À 18 ans, on croit que cela va durer toute la vie, que l’amour entre nous est inatteignable, qu’il n’y a qu’à se laisser porter, à s’aimer comme des enfants. Cela a tenu quelques mois, puis les chemins se séparent, un grain de sable vient altérer le ronronnement des habitudes et tout s’écroule presque sans bruit. Je me souviens t’avoir attendu. Je me souviens avoir souffert. Je me souviens t’avoir maudit. Et aujourd’hui, dix ans après ce premier baiser qui m’avait imprégnée de toi, dans ce bistro miteux à la tombée de la nuit, ces mots qui m’ont échappé : « Je t’ai pardonné, je t’aime toujours. » Tu as cessé de parler et, dans tes yeux, j’ai cru percevoir la naissance d’une émotion vite refrénée. J’aurais voulu que le temps s’arrête encore comme quatre ans auparavant sur cette même plage où nos corps se sont retrouvés durant ces quelques jours de vacances. Nos vies sont rythmées de baisers volés, de retrouvailles avortées, d’espoirs émiettés. Nous passons toutes ces années à nous chercher, l’un et l’autre poussés par des rêves adolescents. Je t’écoute me parler d’elle qui a pris place dans ton coeur depuis presque 1 an et qui te fait souffrir un peu. Tu m’écoutes te parler de lui, qui m’a quitté voilà déjà un mois. Je la déteste. Autant que je déteste ne pas avoir le courage de rester près de toi, parce qu’une certitude comme la nôtre me terrifie. Parce que je crois toujours trouver ailleurs ce que tu sais si bien m’apporter. Parce que j’ai toujours été là sans être là. Il m’arrive de croire que tu auras la force de m’attendre encore, moi qui fuis tes étreintes à chacune de nos rencontres, et cette fois-ci encore, mon amour, je te laisse sur le quai de la gare avec les lèvres closes et le regard brûlant d’émotion. Cette fois-ci encore, je ne te laisse pour toute trace de moi qu’un numéro de portable griffonné sur un papier délavé. Cette fois-ci encore, je m’échappe et je m’en veux. Quand te reverrais-je à présent ? « Je suis convaincu qu’on a tous quelqu’un qui nous attend quelque part. Je sais que c’est toi qui m’est destiné. » Tu attendais une réponse, je crois. J’ai laissé mes paupières se fermer, j’ai souri timidement, mais je n’ai rien dit. J’avoue ne pas encore avoir eut cette révélation avec autant d’évidence que tu sembles le présenter pour toi. D’ailleurs cette certitude m’angoisse. Lequel de nous deux se leurre ? Te souviens-tu de ces années où nous étions si sûr de nous ? Te souviens-tu de cette nuit si vite achevée où nous avions partagé nos corps et nos rêves ? Elle ne me quitte jamais. Ce souvenir puissant berce mes moments de désespoir et me guide chaque fois vers toi. Je repense à tes mains dessinant mes courbes dans l’obscurité. Le silence entrecoupé de ton souffle irrégulier, mon ventre se faisant plus palpitant, ma bouche entrouverte appelant tes baisers. Il y avait dans cette chambre vide une magie qui nous portait tous deux vers cet amour fragile et magnifique. Ta main c’est alors faite plus sûre, plus aventureuse, venant découvrir délicatement mon intimité. Je tremblais de désir et de peur, je gémissais de honte et de plaisir, j’étais offerte à toi, le clitoris humide et bandé par tes doigts experts. Inexpérimentée et sauvage j’ai senti monter en moi les spasmes de la jouissance et tu as étouffé mes cris de ce baiser torride. Ta langue cherchait la mienne, chaude et douce. Ta salive en moi que je buvais comme une assoiffé, le corps tendu et cambré dévorant plus profondément tes doigts de mon sexe qui en voulait toujours plus, plus vite, plus loin… Tout cela me porte encore aujourd’hui. Pourquoi ? Il y en a eu pourtant des hommes après toi que j’ai aimé si différemment, qui m’ont apprit les jeux de l’amour ignorés par notre jeunesse. Il y a eu des femmes aussi, mes nuits folles avec elles étaient toujours teintées de toi, je me prenais à rêver que nous les partagions. Je désirais te voir leur faire l’amour, les prendre sans ménagement, les faire jouir brutalement, m’appropriant à la fois ton corps et leur plaisir, et en moi cette fierté de te posséder. Je me délectais de ces images où en elle, dressé de désir, tes yeux ne me quittaient pas, plongés en moi, perdus en moi et cette scène faisait monter l’excitation jusqu’à l’orgasme où je criais ton nom. Je t’ai cherché dans chaque corps, au bout de chaque verge, je voulais te reconnaître dans chacun de ceux qui m’ont pénétré. Mais lorsque j’ouvrais les yeux, reprenant mes esprits, je ne découvrais qu’un inconnu satisfait dont j’ignorais tout. Sans cesse j’ai renouvelé ainsi les déceptions, espérant chaque fois me noyer dans tes yeux et savourer enfin la douceur et la joie de la petite mort au creux de ton épaule. Hélas, de toi, je n’ai rien savouré. Je n’ai parcouru qu’une infime parcelle de ton corps, je ne connais ni les bruits échappés de ta gorge, ni ton odeur pendant l’amour, ni le goût de ton sperme et la sensation de ta verge fouillant mon vagin m’est inconnu… Peut-être pourrais-je alors me guérir de toi si enfin je pouvais te sentir vivre en moi. Peut-être serais-je ainsi libérée de ton fantôme si tu me dévorais encore cette chair brûlante qui t’appelle sans cesse et qui ne te trouve jamais. Peut-être pourrais-je alors me damner complètement assise et ouverte sur ta bite arrogante. Oui, je te veux mien, entièrement, bandé jusqu’à la douleur, le gland rouge et luisant de ma salive, je veux que tu me vois te sucer, te lécher, me nourrir de toi jusqu’à n’en plus pouvoir tant mon appétit de toi est immense. Viens, mon amour, laissons partir loin de nous ce train qui m’arrache à toi, allons mettre un terme à ces années de fantasmes, allons chevaucher ces contrées interdites. Nous jouirons ensemble dans un fracas de sueur et de folie, nous nous dévorerons jusqu’au sang, nous nous baiserons l’un l’autre jusqu’à la mort, peut-être… Je rêve parfois que cela se passe ainsi, que tout devient simple, qu’il suffit d’oser le dire pour que les choses prennent un autre tournant. Mais une fois encore, j’ai sauté dans mon train, j’ai vu défiler les terres de mon enfance avec dans le cœur une pointe de regret, sachant très bien que rien ne me ramènerait près de toi avant quelques années, encore... Aujourd’hui je t’écris de cet appartement que tu ne connais pas, dans une ville où j’évolue sans toi et tout me semble vide, artificiel. De ton côté, les choses ont repris leur cours, rien de plus, rien de moins, juste le souvenir encore incandescent de ces chastes heures en tête à tête, dans ce bistro en bord de plage, où toujours tout recommence, où jamais rien ne se passe.
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La sorcière de Wolfstone
Magie secrète au coeur des mots
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